Un peu de répit

Le tocsin avait sonné de nombreuses fois. L'écho des cloches résonnait encore dans les ruelles froides et embrumées. Le padre avait d'instinct lancé l'alarme, pour annoncer à ses ennemis qu'il était de retour pour leur apporter chatiments et peines. Il avait ensuite regardé une fois encore la vieille batisse de pierre invincible, crevée de balles et d'explosifs mais toujours debout, indicible repère à l'attention de celui qui avait la foi, dernier bastion de la résistance humaine faces aux créatures démoniaques qui rongeait cette cité comme une lèpre. Ravigoré par cette image pieuse et immortelle, il tourna les talons.

Une mauvaise envie de s'en griller une lui serrait les entrailles: il n'avait pas retouché un cigare depuis son embarquement à Rome, un exploit pour un sapeur comme lui. Mais là, il l'avait mauvaise, son humeur était déplorable et il lui prenait des envies de meurtres envers ses propres concitoyens.
Suivant son instinct, il essaya de se remémorer le fil à suivre au travers du dédale de ruelles qui menaient au bureau de tabac. Chemin d'autant plus compliqué à retrouver que les divers changements d'architecture n'avait pas laissé la part belle à l'ancien tracé des rues.

Un individu vouté jeta un mégot au loin alors que le padre se demandait s'il n'était pas complètement paumé dans le bas quartier. Allongeant le pas, il s'approcha du type en question et lui tapota l'épaule.

"Pourriez vous m'indiquer le chemin du tabac, mon fils?"

Au contact de la main sur son épaule, Oscar fit brutalement volte face et mit d'instinct quelques pas entre le nouvel arrivant et lui. Paranoia ou prudence excessive, appelez ça comme vous le souhaitez mais mieux valait se méfier dans cette ville décadente.

"Mon fils."

Voilà bien longtemps que le Juge n'avait été nommé ainsi. Cachés derrière ses longues mèches de cheveux, ses yeux se plissèrent et dévisagèrent son vis à vis. L'homme de Dieu, s'il en était réellement un, ressemblait étrangement à une vieille connaissance au détail près que la moitié de son visage était défiguré et son oeil caché sous un bandeau violet brodé d'un crucifix. Cet accoutrement aurait remporté le premier prix à un concours de costume pour Halloween. Le Juge sourit furtivement à cette pensée mais ce ressaisit aussitôt, aux aguets. Il avait appris par expérience que les apparences étaient trop souvent trompeuses ici bas et particulièrement dans la Nécropole.
Etouffé mais pourtant bien audible, l'écho si particulier du toscin de la Basilique résonnait entre les murs des batiments sordibes du bas quartier.
Gheko tendit l'oreille tout en continuant à dévisager l'autre huluberlu tout droit sorti d'un nanar horrifique à deux sous en face de lui et partit d'un petit rire moqueur.

" Héhéhé ! Alors...Elle cherche un baro à fumer la vilaine drag-queen ou elle veut juste un petit coup vite fait bien fait de karsher pour blanchir ses chicots ? "

Imperceptiblement la main du Juge glissait sous les plis de son manteau.

Le vieux clodo puant se tourna comme une vipère et lui cracha en pleine narine son haleine de vieux phoque décharnée. C'était vraiment pas un bon jour, il n'avait vraiment pas le temps de jouer à écouter les paroles moqueuses qui s'échappaient du claque bec planqué derrière la masse raide de cheveux gras. La barbe qui mangeait la moitiée du visage de ce qui avait été un homme avala à moitié les mots sirupeux sussurés, et le regard torve à moitié dissimulé chercha le sien avec difficulté...allez savoir pourquoi. Le padre essaya de rester calme, mais son désir de cigare et la main crado qui s'insinuait sous le manteau plein de taches ne lui inspirait pas confiance. Prenant les devants, il ouvrit son cuir en grand dévoilant ses deux holsters et leurs armes si particulières. Les canons doubles des fusils de chasses brillaient, luisant de graisse, et les crosses de noyers semblaient deux serpents prêt à jaillir pour donner la mort.

"Ecoute vieillard, quand ton aversion pour les homosexuels sera terminé, tu me donneras le rensignement que je t'ai demandé. Parce que sinon, la giclée risque bien d'être pourpre et de s'étaler en sirop sur ton veston... Je t'ai demandé le chemin du tabac, pas de me racontez tes mésaventures d'écorché de l'anus. T'as pigé, "mon fils"..."

Un éclair brilla dans l'interstice du manteau de cette croûte humaine. Un reflet apparut à sa ceinture, une illusion d'optique qui crût faire apparaître un marteau au padre. Son regard se plissa et sa bouche prit un mauvais pli.

"J'espère que t'as une bonne raison à me donnerpour porter ce qui est accroché à ton futal, mon pote. Et rappelles toi: "Il y a six choses que hait l'Eternel, Le faux témoin qui dit des mensonges... Proverbes 6:19" !!"

Ses gants se rapprochaient lentement de ses crosses.

Les pans du cuir de l'homme de Dieu s'écartèrent tels les ailes du flamand rose lors de sa parade nuptiale, laissant clairement apparaitre ses deux gros jouets, dont les décharges en avaient rassasié plus d'un. Gheko en fut troublé...
Beaucoup de choses chez cet homme concordait avec le Padre qu'il avait connu autrefois : le physique si proche malgré le côté droit mutilé de son visage, le style vestimentaire si éloigné du protocole ecclésiastique, la paire de pétoires prête à "convertir" l'hérétique, le franc-parler mais surtout cette affreuse manie de citer la Bible que le Juge avait tout de suite trouvé barbante.

" J'ai pas besoin de confession alors t'occupe pas de ce qui pend en dessous de ma ceinture. Et essaye même pas de tripoter tes joujous en me reluquant...garde tes mains là où elles sont, Padre " répondit-il en appuyant particulièrement le dernier mot.

A son tour, le Juge écarta le revers de son manteau usé et tâché laissant clairement apercevoir la crosse chromé d'une arme à feu et une boîte de cigarillos qui dépassait de sa poche intérieur.

" Le tabac est par là bas si jamais. " en montrant vaguement une direction d'un signe de tête.

Le padre contempla avec stupeur la créature miteuse qui lui faisait face. La double paire de Beretta chromé qui ornait les aisselles douteuses de son vis-à-vis lui rappelait bons nombres de souvenirs. Ce pouvait il que l’être mangé par la vermine qui lui faisait face soit celui qu’il avait tant désiré revoir depuis qu’il foulait à nouveau les pavés brumeux de Nécropole ?
Son œil valide se plissa. Sous la masse de cheveux grisâtre, il essaya de discerner les traits de l’homme. Il avait l’impression de se trouver face à un être à moitié mort dont la seule étincelle encore vivante tenait dans la folie qui brillait dans ses paupières. Un hybride de ces garous qu’ils avaient autrefois combattu, pilosité oblige ; un reste de mort tenant encore debout par la seule volonté d’user et abuser des gâchettes bien huilée qui s’offrait à sa vue. Nul doute que les taches brunâtres encore fraîches qui ornaient la tête du marteau pendue à la ceinture du clodo ne soient de nature à révéler la disparition de créatures fangeuses dont l’ancien juge semblait avoir adopté le mode de vie.
Encore hésitant, Clarence ouvrit ses lèvres en un rictus menaçant qui se voulait amical avant de grommeler à l’homme qui repartait :

« Merci mon fils. « Bienheureux celui qui indique le chemin, car c’est la route du christ qui s’ouvre à lui. (Esaïe 24-6)… » Mais comme je n’ai pas bien compris, tu pourrais m’accompagner Oscar… »

Ces mains ne quittaient pas ses pétoires. Si le barbu avait commis l’imbécillité de voler le corps de son ami, ça signifierait qu’Oscar avait été abattu. Et la loi du talion réclamerait vengeance.

Le Juge tiqua lorsque le curé cita son prénom. Personne ne l'avait prononcé depuis maintes années et lui-même en était arrivé à l'oublier, se présentant face à ses victime en t'en que Juge Gheko.

" Clar-ence ? C'est...toi ? "

A peine audibles, ces quelques mots résonnaient aussi forts qu'une déflagration aux oreilles de Gheko. Depuis si longtemps muré dans la solitude, il avait peine à s'exprimer, n'usant d'ordinaire sa salive que pour cracher sur le cadavre d'un condamné.
Une étincelle de vie brilla furtivement au fond de ses yeux alors que sa main fourraillait sous les plis de son manteau. Elle en ressortit, tenant entre ses doigts noircis par la crasse un petit cigare qu'elle tendait au Padre.

"...Et ensuite, je convoquerais de nombreux chasseurs, et, à coup sûr, ils leur donneront la chasse sur toute montagne, sur toute colline, et dans les fentes des rochers . Jérémie 16:16"

Le Juge ne cessait de marmonner cette phrase, une main tendue vers Clarence Nécro alors qu'il caressait son maillet de l'autre.

Le prêtre tendit la main pour s'emparer du cigare que celui qu'il recherchait lui offait.Ses lèvres s'ouvrirent sur un sourire cruel en entendant les paroles divines prononcées par son camarade de combat.

Il alluma la tige d'une main experte avant d'inhaler la première bouffée avec passion. Puis il serra en silence son vieil ami dans ses bras. Ses doigts avaient depuis longtemps laissé tomber ses armes et sa main sortit une flasque de la poshe de sa soutane. Il en but une longue gorgée avant de la tendre à son compagnon de chasse.

"Fais gaffe, c'est du lourd, du français; ils appellent ça "calva", je crois."

La chasse était à nouveau ouverte et les épreuves que chacun avait traversé les avait rendu plus fort derrière leurs faiblesses apparentes.
Surtout, il savait ne plus être seul dans les rues de la cité maudite et un soulagement immense se répandit dans tout son corps. Les rues ne lui paraissaient plus aussi sombres et une envie soudaine de faire couler le sang pour purifier les âmes pécheresse des habitants de la ville s'empara de tout son être.

"Alors tu as chassé pendant tout ce temps? Fais moi revenir à mon niveau, frère, je te suis pour absoudre les pêcheurs maudits de ce catafalque urbain."

Gheko eut un furtif mouvement de recul lorsque Clarence le prit dans ses bras. Il lui faudrait sans doute du temps pour se réadapter à une vie sociale mais le contact d'un être cher le réconforta et il le serra dans ses bras à son tour.
Il accepta la flasque tendue vers lui, en renifla le goulot, la porta à ses lèvres et but un longue rasade cul sec, sans prêter attention au conseil du connaisseur.

" Rhhaaaa !!!! Ca arrache ton breuvage !! Faut avoir une sacrée motivation pour boire un truc pareil..." réussit-il à dire entre deux quintes de toux.

Une violente chaleur envahit son corps, son estomac se consuma sous l'effet du liquide fortement alcoolisé ( c'est un euphémisme :p ), sa gueule brûlait littéralement mais le Juge reprit une rasade bien tassée et faisant claquer sa langue sur son palais puis la redonna au Padre avec un large sourire.
Les années passées avaient été particulièrement rudes : la solitude, la souffrance, la peur, sa soif de vengeance, sa rage l'avaient mis à rude épreuve, l'avaient brutalement changé physiquement mais plus encore mentalement. Mais tout fut momentanément oublié grâce à ce bref moment réconfort.

Son frère d'arme était de retour, il n'était désormais plus seul à combattre l'engeance démoniaque au sein de cette ville maudite.

" J'ai beaucoup exécuté de condamnés, mon frère. Cette cité est la Porte des Enfers, le Mal suinte du moindre centimètre carré, la Mort rode partout...Mais les combattants de la Cause sont immortels...
La chasse est ouverte !!! Tu sembles rouillé, tu as besoin d'exercice...Allons ! "

Le temps des Chevaliers de l'Apocalypse était venu.

HJ/J'vas poster au bar tabac, faut qu'j'fasse des réserves/HJ